Point de vue: L’initiative Soins néonatals humains
A. Levin
Hôpital pédiatrique de Tallinn, Tallinn (Estonie)
Acta Pædiatr 1999; 88: 353–5. Stockholm. ISSN 0803–5253
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L’auteur a travaillé pendant de longues années dans des départements expérimentaux de l’ancien système de santé soviétique. Aujourd’hui, avec l’intégration dans le système de santé occidental, on se pose beaucoup de questions sur la médecine néonatale de haute technologie et sur son caractère humain ou non. L’initiative Hôpitaux amis des bébés est bien connue dans le monde entier mais, malheureusement, elle ne profite qu’aux enfants en bonne santé dans les maternités. Une situation paradoxale est apparue : dans un hôpital donné, les soins prodigués dans la maternité sont conformes aux principes de l’initiative Hôpitaux amis des bébés mais, dans le service de soins intensifs néonatals, il se peut qu’ils n’y soient pas conformes. Ces principes portent principalement sur l’allaitement maternel dans les maternités. Les initiatives Soins néonatals humains reposent sur les principes suivants : un minimum de soins agressifs, un minimum de contact entre les nouveau-nés malades et le personnel médical, un maximum de contact avec les mères et un minimum de tests et d’examens. Onze étapes vers l’amélioration des soins psychosociaux et médicaux dans les services pour nouveau-nés malades sont présentées.
Initiative Hôpitaux amis des bébés, Initiative Soins néonatals humains
À la fin des années 80 et au début des années 90, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et plusieurs autres organisations ont lancé l’initiative Hôpitaux amis des bébés (1). Elle s’est propagée dans le monde entier et, aujourd’hui, le nombre d’hôpitaux déclarés Hôpitaux amis des bébés augmente de mois en mois. Quelle est la nature de cette initiative ? S’agit-il simplement d’une campagne parmi d’autres ? Je suis convaincu au contraire qu’elle permet de sauver des vies humaines.
Dans de nombreux pays, les mères ont commencé à comprendre l’importance de l’allaitement au sein. Elles se sont réunies en groupes, appelés plus tard « groupes de soutien », et ont exigé que les maternités changent la façon dont elles soignent des nouveau-nés. Les mères n’aimaient pas que leur bébé soit séparé d’elles, au lieu d’être allaité.
Un grand nombre de médecins et de scientifiques ont réalisé des travaux de recherche et publié des articles dans lesquels ils préconisaient de réorganiser la façon de travailler dans les maternités. La notion d’établissement de la relation mère-enfant, proposée par Klaus & Kennel (2), a eu une influence particulière et sa validité a été reconnue dans le monde entier. L’initiative Hôpitaux amis des bébés visait à contrebalancer l’utilisation de technologies de pointe, qui remplacent un certain nombre de processus naturels par divers appareils. Un déclin de l’allaitement au sein a commencé et, de plus en plus souvent, des substituts du lait maternel étaient employés.
En tant que pédiatre-néonatologiste, je trouve que cette évolution est dans l’ensemble positive, étant donné qu’elle permet aux nourrissons de se sentir bien dans les maternités. Cependant, je m’inquiète du sort des nouveau-nés malades et prématurés, qui doivent être soignés dans des services pour nouveau-nés malades et, en particulier, dans des services de soins intensifs néonatals. Ils sont privés du contact constant avec leur mère et, dans le meilleur des cas, sont alimentés par du lait maternel provenant d’une banque du lait. On estime généralement que les nourrissons ayant besoin d’un respirateur ne peuvent être allaités au sein ; cette idée est dans une certaine mesure exacte, car la majorité des enfants et les nourrissons qui n’ont pas besoin d’assistance respiratoire peuvent recevoir du lait de leur mère. Une situation paradoxale a été créée : alors que les pratiques des maternités sont conformes à l’initiative Hôpitaux amis des bébés, le service de soins intensifs néonatals situé dans le même hôpital ne doit pas se conformer aux exigences de cette initiative.
Dans différents pays, 5 à 7% des enfants sont malades et il est naturel que l’alimentation au sein est au moins aussi importante pour les enfants malades que pour les nourrissons sains, voire plus importante. Cette question a été soulevée lors d’un séminaire qui s’est tenu à Saint-Pétersbourg en août et septembre 1993 ; à cette occasion, on a fait observer que l’alimentation au sein est non seulement possible mais également souhaitable pour les nourrissons ayant un faible poids à la naissance et les nouveau-nés malades. Cependant, la situation n’a guère changé depuis lors. Il est encore fréquent que les nourrissons soignés dans des services pour nouveau-nés malades ne bénéficient ni d’allaitement au sein ni d’autres facteurs naturels tels que le contact constant avec leur mère. Dans certains cas, des entreprises qui fabriquent des préparations pour nourrissons suscitent des travaux de recherche pseudo-scientifiques, dont le but est de prouver que les substituts du lait maternel sont meilleurs que ce dernier.
Malheureusement, le code international actuel ne fonctionne bien que dans les maternités, et non dans les services néonatals, où il peut donc être enfreint.
Autre problème grave, l’idée des Hôpitaux amis des bébés ne correspond pas pleinement à son nom. Les hôpitaux doivent répondre à toutes les exigences relatives à l’alimentation au sein des nouveau-nés en bonne santé dans les maternités mais la notion d’Hôpital ami des bébés devrait inclure d’autres facteurs que l’allaitement maternel.
Qu’en est-il des conditions qui ont été créées pour les nouveau-nés malades ? Nous préoccupons-nous vraiment de savoir s’ils se sentent bien ? Il est évident que des nourrissons gravement malades recevant une assistance respiratoire ne se sentent pas bien. Les nourrissons en couveuse sous observation constante se sentent seuls, même s’ils sont entourés d’infirmières très qualifiées. Pourtant, il existe une tendance de plus en plus marquée à humaniser la médecine de haute technologie. En Suède, par exemple, des matelas d’eau chauffants ont été mis au point (3) et l’on a veillé à ce qu’il y ait un contact cutané entre la mère et le nourrisson (4); les mères s’efforcent d’utiliser la « méthode du kangourou » (5, 6) lorsqu’elles rendent visite à leur nourrisson. Cependant, la situation pourrait être considérablement améliorée. Par exemple, un contact constant entre la mère et le nourrisson favorise la santé biologique et psychologique de celui-ci pendant la deuxième partie de la période néonatale (du septième au vingt-huitième jour) et ce contact est beaucoup plus positif que le contact avec du personnel médical qui change fréquemment (7, 8).
Nos travaux de recherche, qui ont été réalisés dans les années 90 et n’ont fait l’objet de publications qu’en Russie, nous ont permis de conclure que, pendant la deuxième partie de la période néonatale, il existe des « cordons ombilicaux » biologique et psychologique. Ceux-ci créent une « couveuse biologique » pour l’enfant, ce qui favorise son développement biologique, physique et psychologique ultérieur (9, 10).
Dans le cadre des soins néonatals modernes, les nourrissons subissent différents examens et prélèvements, qui peuvent même provoquer de l’anémie, ce qui les stresse (11, 12). Le nombre de tests et d’examens doit par conséquent être réduit autant que possible.
Il faut se préoccuper du problème des traitements agressifs. Actuellement, il existe une tendance à réduire les quantités de médicaments administrés, mais ce processus se trouve encore à un stade peu avancé.
En résumé, j’estime que la notion d’Hôpital ami des bébés va bien au-delà de l’alimentation au sein de nouveau-nés en bonne santé. Les dix étapes de l’initiative Hôpitaux amis des bébés ne conviennent pas pour les nouveau-nés malades et prématurés. Selon mon expérience, il faudrait mettre en œuvre les onze étapes suivantes pour l’amélioration des soins psychosociaux et médicaux dans les services pour nouveau-nés malades (13):
La mère devrait pouvoir rester avec son enfant malade 24 heures sur 24.
Chaque membre du personnel devrait soigner la mère et le nourrisson et devrait être en mesure de prendre en charge les aspects psychologiques.
Il faudrait que le personnel encourage toutes les mères à allaiter leur enfant et apprenne les techniques permettant de tirer le lait maternel.
Le stress que ressentent les mères devrait diminuer pendant toute la période de traitement.
Sauf indication médicale particulière, les nouveau-nés ne devraient être alimentés qu’au lait maternel.
Si le nourrisson ne peut téter, le lait maternel devrait lui être donné à l’aide d’un tube, de préférence par la mère.
Le nombre de tests et d’examens devrait être réduit au minimum.
Il faudrait favoriser autant que possible un contact cutané et par le souffle entre la mère et l’enfant, et réduire l’utilisation d’appareils dans les soins aux enfants.
Les traitements agressifs devraient être réduits au minimum.
Il faudrait considérer la mère et le nourrisson comme un système psychosomatique fermé. Les tournées quotidiennes dans les services devraient être axées non seulement sur les nourrissons mais également sur les besoins des mères (participation d’un gynécologue et d’autres spécialistes).
Il faut permettre aux membres de la famille en bonne santé (père, grands-parents ou aides) de rendre visite à la mère et au nourrisson lors d’un séjour prolongé à l’hôpital.
Il me semble que les services pour nouveau-nés malades devraient faire l’objet d’une action que l’on désignerait sous un nom plus large : initiative Soins néonatals humains (14).
Depuis que nous avons adopté, en 1994, la politique qui consiste à laisser les mères avec leur nouveau-né malade ou prématuré, nous avons réussi à augmenter le taux d’allaitement au sein dans ce groupe pour le porter à 75–80%. En outre, il est évident que les mères participent plus activement aux soins prodigués à leur nourrisson lorsque ces principes sont appliqués.
Nous travaillons depuis près de 20 ans en contact avec des mères et l’expérience que nous avons acquise pendant cette période a démontré qu’à l’avenir la médecine néonatale ne pourra se borner à avoir un caractère hautement technologique mais devra également prendre en compte les facteurs humains. À l’hôpital, le nourrisson a le droit non seulement de bénéficier d’un excellent matériel et des soins d’un personnel médical qualifié, mais également d’être avec sa mère et, idéalement, aussi avec son père.
À la fin du XXe siècle et au début du siècle suivant, par analogie avec l’initiative Hôpitaux amis des bébés dans les maternités, les nourrissons devraient avoir le droit de bénéficier d’une initiative Soins néonatals humains. Celle-ci devrait être dirigée non seulement par des mères et des organisations internationales (UNICEF, OMS, etc.), mais également par le personnel médical et infirmier des services néonatals.
Les questions et les problèmes abordés dans cet article doivent faire l’objet de discussions très sérieuses et très approfondies.
Références
Wolf H, Charrondiere R, Helsing E. First “baby-friendly” hospital in Europe. Lancet 1993; 341: 440
Klaus HМ, Kennel JH. Parent-infant bonding. 2nd ed. St Louis: CV Mosby, 1982
Tunell R, Sarman J, Holmer I, Elnas S. The evolution of different methods to provide to newborn babies by the use of a baby thermal manikin. Proceedings of 3rd International Conference on Fetal and Neonatal Psychological measurements. Malmö: Ronneby Brunn, 1988
Ludington-Hoc SM, Hadood A, Anderson GC. Psychologic responses to skin-to-skin contact in hospitalized premature infants. J Perinatal 1991; II: 19–24
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Charpak N, Figueroa Z, Ruiz JG. Kangaroo mother care. Lancet 1998; 351: 914
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Levin A. What future course do you take, neonatal medicine? Int Child Health: A Digest of Current Information 1995; 6: 41–4
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Levin A. The Mother-Infant Unit at Tallinn Children’s Hospital, Estonia: a truly baby-friendly unit. Birth 1994; 21: 39–44
Harrison L, Klaus HМ. Commentary: a lesson from Eastern Europe. Birth 1994; 1: 45–6
Levin A. Monography: Hospital for newborn babies in Russia. Leningrad: Medicina, 1989: 101
Levin A, Listopad T. Humanistic neonatal medicine in paediatric hospital, sharing tools for personal/global harmony. First Annual Conference on Conflict Resolution, St Petersburg, 1994: 65–8
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